Le goût du Japon – suite
Pour continuer le récit de mes découvertes gastronomiques au Japon, voici les compte-rendus de trois repas mémorables dégustés dans des restaurants gastronomiques de Tokyo et Kyoto.
Il s’agit là de restaurants récompensés par des étoiles au guide Michelin, or il faut savoir qu’au Japon le guide s’est laissé allé à une « inflation étoilée », en suivant une approche bien différente de celle adoptée pour l’Europe afin de s’adapter à la culture locale. C’est ainsi que le Japon a détrôné la France avec 29 restaurants 3 étoiles contre 27, mais c’est aussi ainsi que de nombreux restaurants une étoile au Japon proposent des menus à moins de 30 euros le midi, ou qu’un restaurant de sushis trois étoiles est situé dans un couloir du métro de Tokyo!
Que l’on approuve ou pas les choix du guide Michelin, je dois dire qu’il nous a, malgré tout, été bien utile pour choisir face au très grand nombre de restaurants lorsque nous avons voulu goûter de la cuisine gastronomique, auquel s’ajoute bien sûr la barrière de la langue pour lire les menus à l’entrée. Et, en ce qui concerne ces trois repas, nous n’avons pas été déçus, bien au contraire, même si notre connaissance assez limitée des restaurants au japon rend tout jugement bien subjectif.
Uemura Honten * – Tokyo
Situé tout près du marché de Tsukiji, ce restaurant propose de la cuisine traditionnelle japonaise préparée à partir de produits d’une extrême fraicheur.
Comme souvent au Japon, la formule du midi est très intéressante, tandis que les prix s’envolent si l’on y vient le soir. Ainsi, pour 3 500 yen (soit un peu moins de trente euros), nous avons dégusté un lunch set de haut vol.
On commence avec un chawan-mushi, sorte de flan au oeufs et tofu, contenant des crevettes, des shiitake frais, de petits morceaux de poulet et des noix de gingko. Très doux, et parfait pour se mettre en appétit, il nous rappelle beaucoup le flan à l’umami goûté chez Hedone à Londres.
Nous goûtons ensuite une sorte de petite bavaroise terriblement parfumée à l’oursin…
…et des sashimis d’une fraîcheur absolue : sériole, thon et turbot (une espèce locale proche du turbot appelée makogarei), servis avec un brin de shiso en fleurs.
Et voici le bento : parmi les différents éléments qui composaient ce superbe tableau comestible, il y avait un morceau de turbot japonais, cuit à merveille avec sa chair magnifiquement nacrée, accompagné de fenouil mariné et de taro, du poulpe cuit au dashi, du bambou, une crevette fraîche, différents légumes et gâteaux de poisson, de croquettes de crevettes, d’un petit morceau d’omelette sucrée, d’une sorte de pâte de riz enroulée dans une feuille de bananier, de fêves fraîches en gelée parfumée aux champignons, de coquillages dans une sauce au miso et à la moutarde, d’une saint-jacques au goût délicieusement fumé, d’une minuscule seiche entière, d’un maki au saumon parfumé au citron… un vrai festival pour les yeux et les papilles!
Ce bento était accompagné de riz et d’une soupe au goût fumé contenant excellent petit flan au crabe, servie dans un superbe bol décoré avec, comme toujours au Japon, beaucoup de raffinement.
Pour terminer le repas en légèreté, une fraise et une petite gelée parfumée à l’ananas.
Uemura Honten
1-13-10 Tsukiji, Chuo-ku Site internet (en japonais) : http://www.tukijiuemura.com/shop/101/—–
Kikunoi *** – Kyoto
Nous voici maintenant à Kyoto, berceau de la haute cuisine japonaise dite kaiseki : cette cuisine, dont l’origine remonte au 16e siècle, était au départ un repas léger servi lors de la cérémonie du thé, composé d’une soupe, de riz, et de plusieurs petits plats de légumes. Au fil du temps, elle est devenue de plus en plus sophistiquée pour devenir le summum de la gastronomie japonaise : plus d’une dizaine de plats d’un raffinement extrême, servis dans des porcelaines et céramiques précieuses, avec un grand sens de l’esthétique.
Le repas kaiseki est ainsi régi par des règles très précises dont la toute première est celle du respect des saisons et des produits : « la cuisine kaiseki, c’est manger les saisons » dit même Yoshihiro Murata, le chef du restaurant Kikunoi où nous avons eu la chance de dîner. Son restaurant principal est un ryotei, restaurant haut de gamme japonais, situé à Gion, le quartier historique de Kyoto : installés dans une petite salle privative qui donne sur un jardin, nous avons donc dîné assis sur des tatamis, servis par une japonaise en kimono traditionnel, qui nous a accueillis très chaleureusement dans un anglais impeccable.
La femme du chef Murata est également venue nous accueillir, tout en nous adressant nombre de formules de politesse et de saluts très inclinés. Elle nous a laissé le livre de recettes du chef sur la table, où quelques uns des plats que nous allons déguster étaient présentés : la lecture des ingrédients et des techniques utilisés s’est avérée très instructive.
Yoshihiro Murata jouit en effet d’une certaine renommée et dirige deux autres restaurants – Kikunoi Roan et Kikunoi Akasaka – à Kyoto et Tokyo tout en perpétuant la tradition culinaire de sa famille qui a ouvert le restaurant principal Kikunoi en 1912.
On nous amène pour commencer un umeboshi poché, sauce au lait de soja et pétale de pêche. L’umeboshi est un abricot japonais saumuré très populaire au japon, au goût acidulé très particulier. Il a ici une texture très charnue, presque celle d’un fruit frais qui aurait été tout juste poché, et la sauce vient adoucir son acidité tout en apportant une texture lisse. L’ensemble est excellent.
On continue avec un ensemble de petites entrées : pousses de bambou, petite seiche et pousses d’udo (une herbe sauvage qui pousse en montagne) dans une sauce parfumée au kinome, un bourgeon de frêne épineux, sushi d’alevins (le riz est parfumé au vinaigre de patate douce violette), pieuvre « enceinte » pochée, rapini (plante potagère que l’on trouve aussi dans les pays méditerranéens sous le nom de brocoli italien) dans une sauce à la moutarde, pétale de yurine et œufs de saumon.
Les sashimis arrivent ensuite : dorade japonaise et bonite, wasabi et gelée d’algue de Suizenji, ainsi qu’un magnifique jeune maguro avec une pointe de moutarde et une sauce constituée de jaune d’œuf mariné au soja.
On nous sert ensuite une sorte de gros ravioli réalisé à partir de yuba (peau du tofu), champignon noir (aussi appelé oreille de judas) et rapini, dans une sauce à l’oursin, le tout surmonté de langues d’oursins, d’une pointe de wasabi et d’une fleur de rapini. Dément.
Puis c’est un délicat filet de bar, pané à la poutargue et à l’écorce de yuzu confite. Très bon mais un peu sec tout de même.
Un excellent petit sorbet fraise-wasabi en guise de trou normand : la douceur de la fraise arrive d’abord en bouche, puis on sent quelques secondes plus tard le piquant du wasabi… un mariage détonant.
On nous amène ensuite un « assortiment de salades » : en réalité, c’est une véritable mosaique de petits ramequins contenant autant de petites bouchées multicolores. Oignon wageki, seiche, gelée de konjac rouge et sauce miso-moutarde ; poulpe, et igname, jeune seiche dans une sauce au jaune d’œuf et vinaigre, wakame et julienne de pousses de gingembre ; compote de boutons de tusillage ; tofu frit, fêves et sauce au tofu ; sushi de crevette et jaune d’œuf, urui (une herbe locale) et bouton de prêle dans une gelée au vinaigre Tosa.
Le repas se poursuit avec un hotpot de nori frais, dont le goût n’a rien à voir avec le nori que nous connaissions, servi avec des morceaux de congre de Densuke, des coquilles saint-jacques, palourdes japonaises, pousses de bambou et tofu parfumé à l’armoise.
Autant dire qu’à ce stade du repas nous sommes totalement repus. On nous amène pourtant le plat à base de riz et une soupe, qui clôturent traditionnellement tout menu kaiseki, et il s’agit là d’une véritable œuvre d’art… chirashi-sushi à la mode de Kyoto : riz aux fines tranches de congre et de crevettes (et diablement parfumé au yuzu soit dit en passant), recouvert de toutes petites lamelles d’omelette, œufs de saumon, warabi, petits pois, nori grillé, carottes, pétales de gingembre et kinome. Le kinome est cette sorte de fougère miniature que l’on voit sur la photo, son goût, très puissant, nous rappelait celui du combava et de la citronnelle.
La soupe est aux épinards et au miso blanc, et contient quelques morceaux de pâte de gluten rose, des fuki et de la moutarde.
Le dessert est un sponge cake caramélisé, pâtisserie très appréciée au Japon, accompagné d’une glace à l’orge grillé.
On nous amène enfin pour terminer ce repas un thé matcha et un mochi au sakura (entouré d’une feuille des cerisiers qui fleurissent à cette saison), tout simplement divin.
L’extrême raffinement des préparations et des présentations ne sert qu’un but, celui de sublimer le produit, sa fraîcheur et son goût, et nous mesurons là toute la différence entre la cuisine japonaise et la cuisine occidentale.
En somme, un grand moment gastronomique, unique, inoubliable, amenant tant de saveurs et de sensations nouvelles à la fois que nous en sommes sortis épuisés (!).
Kikunoi Honten Repas du soir à 15 750 yens (environ 120€), le midi, repas à partir de 4 200 yens (environ 30€) 459 shimokawara-cho, Yasakatoriimae-sagaru, Shimokawara-dori, Higashiyama-ku, Kyoto-shi, Kyoto Site web—-
Kanei * – Kyoto
Une dernière adresse à Kyoto, dans un tout autre style. Il s’agit d’un petit restaurant spécialisé dans les soba, les nouilles à base de sarrasin que les japonais dégustent très fréquemment. Huit tables sur des tatamis s’ouvrant sur un petit jardin, pas de réservation possible, et des nouilles d’une qualité vraiment exceptionnelle.
Les sobas sont bien sûr fabriquées maison et cuites au moment : afin de les servir dans des conditions optimales les plats n’arrivent donc qu’au compte-gouttes de la petite cuisine, et il est conseillé de les déguster immédiatement après avoir été servis. Froides ou en soupe, elles sont fines, fermes et très goûteuses. Les bouillons qui les accompagnent (canard pour les sobas froides, poule pour la soupe), sont très parfumés. On agrémente bien sûr ce repas de soba-cha, le thé réalisé à base de graines de sarrasin, au parfum grillé si caractéristque.
Et bien sûr, comme presque partout au Japon, le service était d’une gentillesse et d’une délicatesse inoubliable.
Kanei 11-1 Higashifujinomoricho, Murasakino, Kita-ku, Kyoto Repas entre 1 500 et 4 000 yens (10 à 30€)